Les sanglots de l’homme valaisan

Ci-après un texte de Me Antoine Zen Ruffinen, avocat et notaire à Sion, ancien président de la commission d’Edilité de la commune de Sion, texte que la presse locale tarde à publier.

Le débat public sur la révision de la LAT est totalement faussé par l’ignorance, voulue ou non, de ses acteurs. Ainsi, on présente comme une nouveauté contenue dans la révision de la LAT  que la dimension des zones à bâtir doit être calculés pour couvrir les besoins des quinze ans à venir, et rien de plus. C’est faux : la loi contient cette limitation depuis longtemps déjà. Son article 15, adopté le 22 juin 1979, proclame haut et fort que les zones à bâtir comprennent des terrains propres à la construction qui sont déjà largement bâtis ou qui seront probablement nécessaires à la construction dans les quinze ans à venir (…). En Valais, cette limitation a souvent été ignorée.

Rien de nouveau donc. Et pourtant : nos responsables politiques semblent découvrir aujourd’hui une situation vieille de plus de trente ans, qui devrait leur être connue. Dans les nombreuses procédures d’aménagement auxquelles j’ai participé de près ou de loin, l’Administration cantonale valaisanne, par son Service de l’aménagement du territoire, a souligné presque à chaque fois que, au vu des facteurs de développement connus, les zones à bâtir étaient surdimensionnées, et a requis des communes de les revoir à la baisse. Hélas : les édiles n’ont eu que très rarement le courage d’aller au bout de ces redimensionnements, craignant de s’aliéner une partie de leur électorat.

Autre fausse nouveauté montée en mayonnaise : la possibilité de prélever une partie de la plus-value réalisée lors de l’affectation d’une parcelle à la zone à bâtir, pour financer les indemnités dues aux propriétaires qui seraient déclassés. L’article 5 de la LAT de 1979 prévoit, sous la rubrique Compensation et indemnisation, que le droit cantonal établit un régime de compensation permettant de tenir compte équitablement des avantages et des inconvénients majeurs qui résultent des mesures d’aménagement ; une juste indemnité sera ainsi accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalant à une expropriation.

Les cantons devaient légiférer en la matière. En Valais, comme dans la majorité des autres cantons d’ailleurs, le législateur cantonal n’a pas osé franchir le pas : d’accord pour indemniser (ça rapporte des voix), mais pas pour prélever une taxe sur la plus-value (ce qui en fait perdre). La Loi valaisanne d’application de la LAT de 1987 statue en son article 16 qu’une juste indemnité est accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalant à une expropriation. Pour le reste, dit la loi, le régime de compensation et d’indemnisation est réglé par la législation spéciale. Elle n’a jamais vu le jour : le gouvernement n’a pas eu le courage de légiférer sur la question…

Depuis peu, tout le landernau politique valaisan hurle au scandale parce que Berne menace de faire elle-même le travail qui lui incombait, et qu’il n’a pas (ou mal) fait. Qui blâmer ? Le législateur fédéral qui veut que sa loi soit suivie d’effet, ou les autorités qui ont esquivé leurs obligations durant trente ans ? Nous allons bientôt payer le prix fort de cette désobéissance, et l’on doit le regretter, car le dommage sera considérable, bien plus sensible que si l’on avait, dès le début, appliqué la loi.

Oui, ça va faire mal, et il faudra se battre, mais que l’on arrête de hurler à la violation du fédéralisme et de la garantie de propriété : celle-ci n’a pas pour objet la valeur des terrains, et les impératifs de l’aménagement du territoire sont aussi de rang constitutionnel (article 26 pour la garantie de la propriété, article 75 pour l’aménagement du territoire). Oui, ma parcelle déclassée vaudra moins cher qu’au jour où je l’ai acquise (par achat ou par héritage); mais si j’avais acheté, ou reçu en partage la même valeur en actions UBS ou SwissAir, sans les vendre durant les beaux jours de ces sociétés, où est la différence ? A qui demander une compensation pour la perte subie? Dans notre domaine au moins, il existe un interlocuteur, et la loi lui donne les moyens de financer  ses dédommagements.

Alors oui, sauvons la Suisse, le fédéralisme et notre patrimoine immobilier, mais en appliquant simplement les lois que le peuple a approuvées. Nul besoin de réviser la LAT sur ces deux dispositions, déjà en vigueur. Nul besoin non plus d’une pétition ou d’une initiative pour rappeler à nos autorités que la Confédération suisse protège la liberté et les droits du peuple, favorise la prospérité commune, le développement durable et la cohésion interne, garantit une égalité des chances aussi grande que possible, et s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles (buts de la Confédération, article 2 de la Constitution fédérale). Finissons-en avec les indignes pleurnicheries et les sanglots de l’homme valaisan, et mettons-le au travail pour valoriser les nombreuses merveilles de son environnement… pendant qu’il en reste.

Sion, 28 juin 2012

 

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